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« Cette fois notre sol sacré ne sera pas épargné. Mais je suis confiant. Nous résisterons et continuerons le combat. L’Allemagne émergera de ces ruines, plus belle et plus grande qu’aucun pays ne l’a jamais été.
Adolf Hitler
Assis au bureau de Maggie, Steadman se tenait la tête dans les mains. Il n’y avait aucune larme en lui, seulement une immense lassitude, un sentiment de désespoir infini. Il croyait avoir définitivement banni de sa vie une sauvagerie aussi monstrueuse, mais elle l’avait retrouvé, tel un vieil ennemi qui tient à sa vengeance. Pourquoi Maggie ? Pourquoi lui avoir fait cela ?
Avertie par un voisin trop pleutre pour répondre aux appels de Steadman mais assez courageux pour téléphoner, la police avait fait irruption chez lui alors qu’il serrait contre lui la morte. Son torse nu était couvert du sang de Maggie. Ils l’avaient écouté avec méfiance, prêts à réagir au moindre signe agressif de sa part.
Une ambulance avait emmené le cadavre mutilé, et les heures qui avaient suivi n’avaient été qu’une liste interminable de questions. Qui était la morte ? Quelle relation entretenait-elle avec lui ? S’étaient-ils querellés ? Leur agence était-elle en bonne santé financière ? Étaient-ils amants ? Pouvait-il redécrire ce qui s’était passé cette nuit ? Encore. Et encore. A quel propos s’étaient-ils querellés ? N’y avait-il donc jamais eu aucune anicroche entre eux ? Alors quel était le sujet de leur dernière dispute ? Sur quelles affaires travaillaient-ils actuellement ? Quand l’avait-il vue pour la dernière fois ? Pouvait-il relater une nouvelle fois les faits ? A quelle heure s’était-il réveillé ? Pourquoi n’avait-il pas appelé la police ? Était-elle encore en vie quand il l’avait découverte ? Pouvait-il recommencer depuis le début ?
Il s’était emporté, puis sa colère s’était évanouie. Il était encore en état de choc et l’interrogatoire, la situation lui paraissaient irréels. La petite maison était emplie de silhouettes indistinctes, de visages soupçonneux et hostiles. Au fil des heures pourtant, leur attitude se modifia peu à peu car ses réponses ne variaient pas, malgré son évidente hébétude. Ils lui permirent de prendre une douche et de se changer, puis deux inspecteurs le menèrent à l’agence de Gray’s Inn Square. Là ils examinèrent tous trois les derniers dossiers dans l’espoir de découvrir un indice qui les éclairerait sur le meurtre de Maggie Wyeth. Ils butaient sur une interrogation en particulier : pourquoi le ou les assassins avaient-ils pris la peine de crucifier leur victime à la porte de son partenaire ? Leur agence avait peut-être aidé à faire condamner un déséquilibré quelconque dans un lointain passé, un fou qui venait de se venger. Une autre équipe de la police passait au peigne fin l’appartement de la victime à Highgate, mais ils ne trouvèrent pas plus de piste que les deux inspecteurs et Steadman.
L’aube se levait quand ils abandonnèrent le détective dans le bureau de Maggie. Ils lui demandèrent de venir déposer plus tard dans la journée à New Scotland Yard, en lui recommandant de ne rien dire à la presse, laquelle le traquerait bien assez tôt. Et il ne devait pas quitter la ville sans leur avoir auparavant communiqué sa destination.
La fatigue et le choc embrumaient son esprit, et il resta assis sans bouger un temps indéterminé. Sue le découvrit dans la même position à son arrivée. Elle avait encore le manteau sur le bras quand elle jeta un coup d’œil par la porte entrouverte. Elle ne cacha pas son étonnement devant l’air hagard de son patron.
— Oh pardon, je croyais que c’était Mrs. Wyeth... Voulez-vous que je...
— Entrez, Sue, coupa Steadman sans la regarder.
La venue de la secrétaire l’avait tiré de son apathie. Sue s’approcha. D’abord surprise, elle était maintenant inquiète de son expression lointaine.
— Vous allez bien, Mr. Steadman ? Vous semblez...
— Sur quelles affaires a travaillé Maggie la semaine dernière, Sue ?
Ses yeux avaient repris leur habituelle vivacité quand il les braqua sur la secrétaire.
— Euh... Ça doit figurer dans son agenda. Elle est allée au tribunal deux fois, mardi et jeudi, je crois... Et elle a enquêté sur des vols commis dans les magasins Myer. Il me semble que c’est tout... mais tout devrait être dans son agenda.
Elle pointa un index vers le petit volume relié de cuir rouge sur le bureau. Steadman acquiesça.
— Oui, j’ai déjà regardé. Pas de complication avec l’affaire Myer ?
— Non, non, je ne crois pas. Mrs. Wyeth commençait seulement l’enquête. Mais elle devrait arriver bientôt, elle pourra vous dire ce que...
— Sue, fit-il calmement, Mrs. Wyeth ne viendra pas.
Sue resta immobile, interdite. L’expression de son patron lui disait qu’il allait lui annoncer quelque chose de terrible, et une appréhension soudaine la pétrifiait.
Steadman décida de ne rien lui révéler avant d’en avoir appris autant qu’il était possible sur les activités de Maggie la semaine passée. La nouvelle de la mort de sa patronne effondrerait sans doute Sue, et elle ne serait plus en état de le renseigner.
— Réfléchissez bien, Sue. Maggie s’est-elle occupée d’autre chose durant mon absence ?
Elle secoua la tête négativement mais s’arrêta presque aussitôt.
— Il y a bien cette autre affaire, mais...
Steadman attendit, mais la jeune femme paraissait gênée.
— Il faut tout me dire, Sue. C’est peut-être très important.
— C’est que... Elle voulait vous en parler elle-même à votre retour. Elle m’a demandé de ne rien vous dire...
— Je vous en prie, Sue...
La frustration dans sa voix la décida.
— Cet homme qui est venu vous voir lundi dernier... Mr. Goldblatt ? Je crois que Mrs. Wyeth a travaillé sur quelque chose pour lui.
— Bon sang ! s’écria-t-il avec rage, et la secrétaire sursauta quand le poing de Steadman s’abattit sur le bureau. Je lui avais dit de ne pas accepter !
— Elle... Elle a dit que nous n’étions pas très occupés et qu’elle pouvait se charger de cette affaire. Il s’agissait simplement de retrouver une personne disparue...
Sue était très embarrassée par la situation, car elle professait une égale loyauté à l’égard de ses deux employeurs.
— Je suis sûre que Mrs. Wyeth pourra vous expliquer...
— Elle n’expliquera plus rien ! tonna Steadman. Elle est morte !
Il regretta aussitôt cette flambée de colère. Une détresse instantanée avait envahi le visage de Sue. Il se leva et contourna le bureau.
— Je suis désolé, je n’aurais pas dû vous l’annoncer de la sorte.
Il la prit par les épaules et la fit s’asseoir sur la chaise. Elle se laissa guider comme une aveugle.
— Comment est-ce arrivé ? bredouilla-t-elle en tirant un mouchoir de sa poche d’un geste mécanique. Elle allait bien jeudi matin, après le tribunal...
— C’est la dernière fois que vous l’avez vue ? demanda-t-il d’une voix redevenue douce.
— Oui. Jeudi matin. (Elle se tamponna les yeux de son mouchoir.) Elle m’a dit qu’elle serait absente l’après-midi et certainement aussi toute la journée de vendredi. Que s’est-il passé, Mr. Steadman ? Comment est-elle morte ?
Il hésita un instant, avant de comprendre que les journaux relateraient l’affaire, même s’ils ignoraient les détails les plus horribles.
— Elle a été assassinée. La nuit dernière. C’est pourquoi je vous demande ce qu’elle a fait la semaine dernière.
— Assassinée ? Mais qui...
— Nous ne le savons pas, Sue. La police viendra sans doute vous interroger dans la journée.
Il essaya de la réconforter quand elle éclata en sanglots. Quelques minutes passèrent.
— Quand a-t-elle vu Mr. Goldblatt ?
— Le même jour que vous. Dans l’après-midi, à son hôtel.
— Quel hôtel, Sue ? Vous avez le nom ?
— Oui, dans mon carnet. Je vais vous le chercher.
Elle se leva, le mouchoir toujours serré dans son poing.
— Qui a fait ça, Mr. Steadman ? Qui l’a assassinée ?
Le détective ne pouvait lui fournir aucune réponse. Et il n’était pas certain de vouloir la connaître. Quelque chose lui disait que savoir amènerait d’autres horreurs.
L’hôtel était situé dans le nord-ouest de Londres, non loin de Belsize Park. C’était un établissement moderne et fonctionnel, du genre apprécié par les hommes d’affaires de passage dans la capitale et qui ne restent que quelques jours avant de repartir ailleurs. Un endroit anonyme et proche du cœur de Londres, idéal pour les membres d’une organisation comme le Mossad.
Steadman paya le taxi et entra d’un pas assuré dans le hall de l’hôtel. Il avait laissé Sue aux soins de Sexton. L’ex-policier était arrivé en compagnie de Steve au moment où la secrétaire donnait l’adresse de Goldblatt à son patron. Steadman avait alors expliqué aux trois employés ce qui était arrivé à Maggie. Sue s’était effondrée et le visage de Steve avait pris une pâleur extrême, mais Sexton avait bien encaissé. Malgré le choc, l’expérience passée lui avait permis de maîtriser sa réaction sur l’instant. Il savait que les autres auraient besoin de lui. Pourtant il avait proposé à Steadman de l’accompagner. Ce dernier avait refusé, arguant qu’il serait plus utile à l’agence. Les raisons étaient valables et l’ex-policier avait accepté, à contrecœur mais sans discuter.
Le réceptionniste de l’hôtel toisa Steadman avec une froideur certaine. Le détective n’était pas rasé, le col de sa chemise était ouvert, il n’avait pas remis de cravate et son visage portait les stigmates d’une nuit sans sommeil. Cette apparence ne le rendait pas bienvenu, il le sentait, mais il n’était pas d’humeur à supporter les a priori d’un réceptionniste guindé.
— Vous avez un Mr. Goldblatt chez vous. Quelle chambre ?
La dureté de la voix était sans équivoque. Derrière son comptoir, l’employé perdit un peu de sa morgue avec beaucoup d’à-propos. Il passa un index rapide sur la liste des clients.
— Chambre 314, Monsieur. Troisième étage. Je vais prévenir Mr. Goldblatt par téléphone. Qui dois-je annoncer ?
— Pas la peine.
Steadman se dirigeait déjà vers les ascenseurs.
— Un instant, Monsieur...
Les portes d’un ascenseur s’ouvrirent et quelques hommes d’affaires en sortirent. Steadman monta et appuya sur le 3. La porte coulissa dans un chuintement. Avant qu’elle ne se referme il vit le réceptionniste qui décrochait son téléphone.
Arrivé au troisième il sortit sur le palier moqueté et s’engagea dans le couloir. Un peu plus loin, une porte s’ouvrit et l’agent du Mossad apparut.
Le détective avança sur lui. Goldblatt était encore en manches de chemise ; visiblement il ne s’attendait pas à une visite aussi matinale.
— Je suis heureux de vous voir, Mr...
Il s’interrompit en reconnaissant la flamme glacée qui brûlait dans les prunelles de Steadman. Bien des années auparavant il l’avait vue dans le regard d’un instructeur, alors qu’un de ses camarades venait d’en tuer un autre d’une balle dans la gorge par inadvertance. Le vétéran avait battu comme plâtre la recrue pour avoir perdu une précieuse vie israélienne.
Hypnotisé par ce regard, il se sentait totalement désarmé, incapable de se défendre. Le coup de poing l’envoya rouler dans la chambre. Il se releva sur les genoux mais le pied de Steadman le frappa aussitôt. Il s’écroula sur le dos. Le détective était déjà sur lui et empoignait sa chemise pour le relever.
— Steadman, non...
Le revers de main lui écrasa vicieusement la bouche.
— Tu t’es servi d’elle, fumier ! lui cracha Steadman au visage. Tu t’es servi de Lilla et de moi, et maintenant tu as tué Maggie aussi !
— Steadman, que racontez-vous...
— Maggie ! rugit l’Anglais. Tu l’as tuée !
Ivre de rage, il précipita l’agent du Mossad au sol et s’apprêta à le frapper de nouveau.
— Ça suffit, Steadman. Plus un geste.
Le détective tourna la tête. Sur le seuil de la porte de communication entre les deux chambres se tenait la femme de la Cortina. Il la reconnut immédiatement. Elle braquait sur lui un Beretta muni d’un long silencieux.
— Ne me forcez pas à vous tuer, dit-elle en regardant nerveusement Goldblatt.
Steadman savait qu’elle ne plaisantait pas. La détonation serait assourdie par le silencieux, et les agents du Mossad utilisaient toujours des balles à charge légère pour réduire le bruit. Personne n’entendrait rien. Bien sûr, il leur faudrait ensuite se débarrasser de son cadavre, mais il était sûr qu’ils y parviendraient sans trop de difficultés, au besoin avec l’aide d’autres agents.
Le détective s’écarta de l’Israélien toujours au sol et avança de deux pas vers la jeune femme, prêt à profiter de sa moindre distraction.
Avec ses longs cheveux noirs et sa peau mate, elle offrait une beauté attirante. Le peignoir de bain qu’elle portait – celui de Goldblatt, probablement – rehaussait encore son charme naturel.
— Ça va, Hannah, grogna Goldblatt en essuyant de la main le sang à sa bouche. Ne le tuez pas. Pas encore.
Il se redressa péniblement et alla jusqu’à la porte. Un coup d’œil dans le couloir lui assura que personne n’avait remarqué la lutte. Il la referma et la verrouilla, puis s’approcha de Steadman par-derrière. Il fouilla l’Anglais avec dextérité. Satisfait de ne découvrir aucune arme, il le contourna et rejoignit la jeune femme, qui lui donna le Beretta.
— Maintenant expliquez-vous, fit-il, le pistolet toujours pointé sur le détective. Pourquoi avez-vous agi ainsi ?
— Vous ne savez pas ce que vous avez fait ? gronda Steadman.
Goldblatt secoua la tête.
— Non. Expliquez.
— Vous vous êtes servis de Maggie pour rechercher votre agent, n’est-ce pas ?
— C’est elle qui est venue nous voir.
— Mais j’avais refusé que l’agence travaille pour vous !
— Votre choix, pas le sien. Elle voulait accepter l’affaire. Elle a dit que vous changeriez d’avis en comprenant que ce n’était qu’une enquête de routine.
L’Anglais eut une moue écœurée.
— De routine ? Avec le Mossad ?
— Qu’est-il arrivé à votre associée, Mr. Steadman ? demanda la jeune femme.
— Elle a été assassinée cette nuit. Je l’ai trouvée crucifiée à ma porte. On lui avait arraché la langue.
Il avait parlé avec froideur, sans montrer l’émotion qu’il ressentait. L’Israélienne ferma un instant les yeux et parut vaciller. Goldblatt posa une main sur son bras pour la réconforter, mais il était trop expérimenté pour cesser de surveiller le détective.
— Pourquoi lui a-t-on fait cela ? demanda-t-il.
— A vous de me le dire, rétorqua Steadman.
— Ils n’ont laissé aucun message ? Ils n’ont même pas essayé de vous contacter ?
— Ils ? Qui donc, Goldblatt ?
— Ce ne peut être que Gant.
— Et pourquoi aurait-il fait cela à Maggie ?
— Peut-être avait-elle déjà découvert trop de choses...
— Mais pourquoi une mort aussi horrible ?
— En avertissement, Mr. Steadman.
— Pour moi ? Mais je ne voulais pas m’occuper de cette affaire !
— Gant doit être au courant de votre ancienne appartenance au Mossad... (Goldblatt baissa les yeux une fraction de seconde.) Votre associée a dû lui en parler...
Steadman comprit soudain la vérité de cette hypothèse. Maggie avait sans doute été torturée pour lui extirper toutes les informations possibles. Il serra les poings et aurait bondi sur l’Israélien malgré l’arme, si la jeune femme n’avait pas éclaté en larmes.
— Pauvre femme ! Oh, mon Dieu, pardonnez-nous...
Elle se laissa glisser dans un des fauteuils et enfouit un instant son visage dans ses mains. Goldblatt baissa le Beretta.
— Vous voyez maintenant le danger que représentent ces gens, Mr. Steadman ? Vous voyez ce dont ils sont capables pour atteindre leurs buts ?
— Et vous, espèces de salopards ? A quoi êtes-vous prêts pour atteindre les vôtres ?
— Pas cela. Nous ne faisons pas la guerre à des innocents.
— Mais ils se font tuer quand même.
Goldblatt vint s’asseoir dans le fauteuil voisin de celui de la jeune femme, sans plus se soucier du danger que pouvait représenter l’Anglais.
— Pardonnez-nous, Mr. Steadman. Nous ne pensions pas qu’ils oseraient s’en prendre à une citoyenne britannique.
La colère déserta le détective. Il avait connu beaucoup d’agents du Mossad pareils à ces deux-là. C’étaient des individus respectables et dévoués pour la plupart. Pour lui, leur seule faute résidait dans ce fanatisme exacerbé envers Israël.
Il marcha jusqu’à la fenêtre et contempla l’animation de la rue un moment.
— Dites-moi exactement ce qui s’est passé quand elle vous a contactés.
Goldblatt regarda Hannah, et un accord tacite parut s’échanger entre eux.
— Elle est venue ici et nous lui avons expliqué ce que nous savons de la disparition de Baruch. Nous n’étions plus enclins à employer votre agence après notre entrevue, Mr. Steadman, mais Mrs. Wyeth nous a affirmé que vous comprendriez une fois l’affaire engagée. Elle a même envisagé de ne rien vous dire si Baruch était retrouvé assez rapidement. Elle a dit que vous étiez occupé sur un autre contrat, dans le Nord.
— J’aurais fini par le savoir en consultant les rapports, objecta Steadman.
— Elle espérait qu’alors cela n’aurait plus eu d’importance. Nous lui avons parlé du contact de Baruch avec Edward Gant et de sa disparition peu après. Elle nous a dit qu’elle commencerait par une visite des bureaux londoniens de Gant, pour voir si Baruch s’y était rendu ce jour-là. Un garçon de courses, le réceptionniste, n’importe qui pourrait reconnaître Baruch si elle possédait une photographie. C’était un point de départ, en tout cas. Et elle avait l’intention d’enquêter auprès du personnel de l’hôtel où il avait séjourné. Quelques billets de dix livres ici et là rappelleraient peut-être un événement à l’un des employés. Elle est partie avec une description de Baruch et l’agenda de ses activités depuis son arrivée en Angleterre. Nous lui avons dit ce que nous pouvions lui dire, pas tout, bien sûr. Nous avons reçu une photo de Baruch le mardi et la lui avons donné le lendemain. Depuis, nous n’avons eu aucune nouvelle d’elle.
— Que lui avez-vous dit, Goldblatt ?
— Que la mission de Baruch était de conclure une vente d’armes avec Gant.
— Mais pas que Gant était sur la liste de vos assassinats prévus !
— C’est faux. Nous enquêtons sur ses rapports avec les terroristes, rien de plus !
— Bon sang, je vous croirais presque !
— Mr. Steadman, intervint Hannah, nous ne nous étions pas rendu compte du danger que nous faisions courir à votre amie. Nous étions désespérés. Il n’est pas facile pour nos agents d’opérer dans ce pays, et nous avions déjà utilisé toutes nos ressources pour retrouver Baruch. Nous pensions que sa neutralité protégerait Mrs. Wyeth.
— Vous avez fait erreur !
— Oui, nous le savons maintenant, hélas... Mais ce meurtre ne vous donne pas envie de nous aider ?
— Vous aider ? répéta-t-il, sarcastique. Si – et je dis bien : si — Maggie a été tuée par Gant, alors il ne l’a crucifiée à ma porte que dans un seul but : me dissuader de fourrer mon nez dans ses affaires. Et il a réussi.
Goldblatt ne paraissait pas convaincu.
— Mais vous allez tenter de venger sa mort, n’est-ce pas ?
— Non. J’ai eu ma part de meurtres au nom de la vengeance. Cette période est révolue pour moi.
Les deux Israéliens le regardaient avec une incrédulité totale.
— Vous laisseriez ce crime impuni ? Que vous est-il arrivé, Steadman ? Comment un homme peut-il agir de la sorte ?
— Dans ce pays, nous avons une police pour retrouver les assassins, répondit le détective d’un ton égal.
Le canon du Beretta se releva vers lui.
— Vous allez parler de nous à la police ? s’enquit Goldblatt.
— Je leur dirai tout ce que je sais.
Il vit les doigts blanchir en serrant la crosse de l’arme. L’index se crispa sur la détente.
— David... Ce serait une erreur, fit Hannah en posant une main sur l’avant-bras de Goldblatt.
Celui-ci hésita, puis baissa son arme.
— Tu as raison, dit-il. Allez-y, Steadman. Vous vous trompez sur notre compte, mais nous ne vous en convaincrons pas maintenant. J’éprouve de la pitié pour vous.
Un rictus dur aux lèvres, Steadman les affronta un instant du regard. Quelle ironie, songeait-il. Une bataille faisait rage en lui. Ils ne comprenaient pas qu’il voulait les aider. Une vieille flamme avait été ranimée avec la mort de Maggie, une flamme dangereuse qu’il avait crue éteinte depuis longtemps. Et à présent il luttait pour l’étouffer en se rappelant les tragédies qu’elle avait occasionnées par le passé.
Goldblatt se méprit sur son expression et se rembrunit.
— Vous seriez avisé de ne pas vous moquer de nous, Mr. Steadman, fit-il d’un ton menaçant en redressant le canon du Beretta.
Avec un soupir, le détective lui tourna le dos et marcha jusqu’à la porte.
— Allez au diable, lâcha-t-il avant de sortir.